En apparence, beaucoup d’entre nous pourraient dire qu’ils ou elles ne croient pas aux mythes et que nous partageons des faits, mais nos décisions ou les informations que nous transmettons sont imprégnées, souvent à notre insu, de ces mythes.

Cet article examinera les raisons pour lesquelles ces mythes et idées fausses existent et la manière dont ils influencent aujourd’hui encore les attitudes et les pratiques des personnes en matière de CAA.

Surestimation de la parole

La CAA n’empêchepas le développement de la parole. Selon une idée fausse très répandue, l’utilisation de la CAA entraverait le développement de la parole. Lorsque les parents nous demandent si la CAA empêchera leur enfant de parler, nous entendons là l’écho d’un vieux mythe. Cependant, les recherches indiquent que, d’une manière générale, la CAA contribue au développement de la parole. À l’image de l’apprentissage de plusieurs langues ou de la langue des signes à un jeune âge, qui peut renforcer les compétences linguistiques globales, la CAA offre un mode de communication et d’expression supplémentaire.

Cette idée fausse est le reflet d’un biais culturel plus large, appelé verbalisme, croyance selon laquelle le langage parlé est intrinsèquement « meilleur » que d’autres formes de communication. Ce biais se manifeste de différentes manières. Les professionnels ou les soignants privilégient ainsi souvent la parole à la CAA. Ils n’utilisent la CAA qu’en dernier recours. Ils ne la reconnaissent pas comme une méthode de communication valable et efficace. Par exemple, le cabinet du médecin d’Alyssa continue à l’appeler alors qu’Alyssa a fait savoir à plusieurs reprises qu’il ne faut pas faire cela en ne répondant pas à l’appel ou en décrochant, en expliquant qu’il fallait privilégier le contact via la messagerie du portail des patients et en raccrochant. Cette insistance de l’équipe médicale illustre une préférence sociale courante pour les interactions en temps réel, basées sur la parole. De tels biais se manifestent également dans les cadres thérapeutiques et éducatifs, où la parole est souvent placée au-dessus de tout. Cet état d’esprit centré sur la parole alimente la croyance selon laquelle la CAA est une option de repli plutôt qu’une forme de communication légitime et valable.

Le mythe selon lequel il faut être prêt et disposer de compétences préalables

Un mythe très ancien qui continue à être très fortement ancré dans la communauté de la CAA est l’idée selon laquelle il est nécessaire de prouver que l’on est prêt à utiliser la CAA. L’accès à un système de CAA et/ou l’utilisation de la CAA dépendraient ainsi de l’acquisition de compétences préalablement acquises. Par le passé, de nombreux professionnels pensaient que les personnes devaient démontrer des compétences cognitives, motrices ou linguistiques spécifiques pour avoir accès à la CAA. Cette conception est aujourd’hui largement considérée comme une idée fausse, on en retrouve cependant toujours des traces dans des phrases telles que « Il/elle n'est pas prêt.e pour la CAA » ou « Son niveau de fonctionnement est trop bas ».

Ces affirmations sont enracinées dans une pensée désuète qui assimile le fait d’être prêt à un ensemble de prérequis. En réalité, l’utilisation de la CAA ne nécessite pas de passer des tests ou de démontrer certaines compétences. De nombreuses compétences que l’on pensait autrefois être des prérequis peuvent être développées par le biais de l’utilisation de la CAA.

Assurez-vous d’avoir une CAA efficace et complète dès qu’un besoin de communication est identifié. Si vous pensez qu’une compétence est nécessaire pour un usage efficace de la CAA, trouvez des moyens de l’enseigner en utilisant la CAA.

Idées fausses concernant l’âge et l’utilisation de la CAA

Il y a également une croyance largement répandue selon laquelle la CAA s’adresse uniquement aux enfants en âge d’être scolarisés ou à des adultes âgés qui ont perdu la parole suite à un AVC ou des troubles neurodégénératifs. Ce mode de pensée binaire ne tient pas compte du fait qu’il est possible de profiter de la CAA à n’importe quel âge ou n’importe quelle phase de vie. La CAA ne se limite pas à un groupe d’âge spécifique, elle s’adresse à toute personne qui ne parvient pas à satisfaire ses besoins en matière de communication à l’aide de la parole seule.

Cette idée fausse peut empêcher des personnes qui pourraient bénéficier de la CAA d’y avoir accès. Un adolescent ayant rejeté une forme moins efficace de CAA plus jeune pourrait avoir aujourd’hui accès à un système efficace mais ne pas se le voir proposé en raison de « l’échec » de la tentative précédente. Un adulte ne pouvant pas faire usage de la parole et à qui la CAA n’a jamais été proposée pourrait être considéré à tort comme étant « trop âgé » pour apprendre et passer ainsi à côté de cette opportunité. Il est possible qu’un jeune enfant n’ait pas accès à la CAA pour l’aider dans son développement du langage parce qu’on estime qu’il est trop jeune pour en bénéficier ou qu’il est trop jeune pour que l’on puisse déterminer avec certitude que son handicap affectera la parole. La croyance selon laquelle une personne est trop jeune ou trop vieille pour utiliser la CAA ne tient pas compte du fait que l’apprentissage du langage est un processus de toute une vie.

La CAA profite également à de nombreuses personnes en mesure de parler

Malheureusement, les personnes qui peuvent faire usage de la parole, même s’il s’agit d’une capacité très limitée, sont moins susceptibles d’être prises en compte pour la CAA. Il y a cependant beaucoup d’espace entre l’incapacité à faire usage de la parole et la capacité à utiliser la parole pour répondre à tous nos besoins de communication, avec le volume de parole socialement attendu. De nombreuses personnes en mesure de parler ont ainsi besoin de la CAA ! La CAA s’avère parfois plus confortable ou facile à utiliser que la parole dans certaines situations.

On s’inquiète du fait que la CAA pourrait stopper le développement de la parole mais également que les personnes pourraient cesser d’utiliser la parole dont elles disposent. Cependant, si la parole est difficile ou inefficace au point où une personne parle moins lorsqu’elle a accès à la CAA, ne pas avoir besoin d’utiliser autant la parole est en fait une bonne chose.

L’utilisation de la CAA doit être basée sur des préférences et des besoins personnels plutôt que sur une norme rigide concernant la quantité ou le niveau de parole d’une personne.

La vision étroite de la CAA comme étant un simple appareil ou une simple application

On part également souvent du principe que la CAA se limite à un appareil ou une application. Cette vision trop simplifiée ne tient pas compte de la nature dynamique et à multiples facettes de la communication. Les utilisateurs de la CAA utilisent souvent une association d’outils et de méthodes incluant, sans s’y limiter, les gestes, l’écriture, les symboles, les appareils et les applications.

L’utilisation de plusieurs applications de CAA nous permet de choisir l’outil adapté à la tâche. Différents supports de communication, conçus ou non pour la CAA, peuvent se compléter, ce qui élargit les options de communication.

Tout comme une boîte à outils classique qui comprend de nombreux outils pour différents usages, une boîte à outils de CAA peut proposer de nombreuses options pour différentes utilisations. Passer d’un outil à l’autre en fonction des besoins est plus efficace que d’attendre d’une seule solution qu’elle couvre tous les cas d’utilisation.

L’utilisateur de la CAA ne peut pas changer d’application lorsqu’il est coincé dans une application par l’Accès guidé sur un appareil. L’utilisateur est limité à un seul outil et ne peut donc pas profiter du plein potentiel de ses outils de communication.

Même avec la nouvelle fonctionnalité d’Apple, Assistive Access, et plusieurs applications autorisées, certains outils de communication des utilisateurs de CAA risquent de manquer, tels que YouTube, les sites web, les photos, le partage d’écran, et bien d’autres. Ces lacunes laissent les utilisateurs de CAA sans des outils essentiels pour une expression et une interaction complètes.

Ainsi, les utilisateurs de la CAA ne disposent pas de certains outils essentiels pour une pleine expression et une pleine interaction.

En outre, les utilisateurs de la CAA ont souvent recours à des outils technologiques qui ne sont pas spécifiquement conçus pour la CAA. Il est important de comprendre que la CAA inclut de nombreuses manières différentes et flexibles de communiquer. Au lieu de la considérer comme un programme pour un appareil, profitons de sa variété et de son adaptabilité !

Changer de discours

La persistance de ces idées fausses n’est pas qu’une question d’idées dépassées, cela est également le reflet de biais plus profonds tels que le verbalisme. Ces biais privilégient certaines formes de communication et en marginalisent d’autres, ce qui contribue à un manque d’accès et d’acceptation pour ceux qui utilisent la CAA. Pour créer un environnement plus inclusif, nous devons remettre activement en question ces mythes et préconiser une plus large compréhension de la communication.

Ce changement inclut de promouvoir des systèmes de CAA efficaces et de se défaire des mentalités dépassées. La CAA ne doit pas être considérée comme un dernier recours ou un outil limité à des compétences ou des groupes d’âge spécifiques. Elle doit être accessible à tous ceux qui en ont besoin, au moment où et de la manière dont ils en ont besoin.

Liens et références en anglais

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